Chronique #254 : On the Road

20 décembre 2005 0 Permalink 0
Adèle
Au bout de quelques minutes, j’ai commencé à suffoquer, le nez enfoncé au plus profond de la banquette, tête sous la couverture râpeuse et poings serrés contre les oreillers, pour ne plus entendre, rien, seulement les vibrations du train bourdonner dans les tympans, ne pas voir, non, tout de suite déclarer forfait à la projection du cycle coutumier, pas voir ses mains jouer la musique, non, non, et je pleure de rage, putain, me foutrais des beignes, connasse, putain, ça n’arrive qu’à moi des merdiers pareils, tu parles de suivre des traces, Ah Ah, bravo, mais c’est pas les bonnes, c’est n’importe quoi, j’aurais mieux fait de rester chez moi à attendre des nouvelles du mec, marre, j’en ai marre, là, ça me gonfle…

{« – hey… tiens… ça va te détendre…»}

…je l’ai pas entendu entrer. Le type du violoncelle. Ni rouler la cigarette d’herbe qu’il fume maintenant, étendu sur sa couchette, alors que je cherche à toute vitesse ce que je vais bien pouvoir inventer pour m’en tirer. Quoi expliquer. Je me redresse vite fait, me dissimule en tailleur dans un coin. Trouver un truc. Faire gaffe à laisser ma tête dans l’ombre. Doit pas me voir. Pas me confondre avec la Dame aux Camélias. Pas moi. Pas montrer les noeuds, suis supposée les avoir laissés là-bas.
Il tire une grande latte, garde la fumée longtemps, et puis lâche un nuage au dessus de sa tête. Je l’observe. Il est brun, ouais, c’est vrai. Mais rien à voir. Je respire. Rien à voir. Ah Ah. Il tend le bras au dessus du vide, rencontre mes doigts, je l’entend rire, il est gai, ses yeux pétillent, voilà le joint, j’aspire longuement, je me détends instantanément, qu’est-ce qui m’a pris, allons… Devant, ça file droit.
Faut pas oublier, ça.
Relâchement.
Ailleurs, tout à coup ça ne compte plus si je les entends s’époumoner, encore, et encore, au rythme des archets, m’en fout, total, {Choeur des Esclaves}, Ah Ah, le gag, Ah Ah, au moins j’aurais des choses à raconter, au bout du compte, elle pourra pas dire que c’est moi, pour l’escorte philharmonique. Ah, Ah. C’est juste le sort qui s’acharne, voyez. Putain de karma. Elle pourra rien répondre à ça.

J’ai dit oui quand il m’a dit, viens, on va dîner. Je l’ai suivi rejoindre d’autres musiciens anonymes, deux compartiments plus loin. Pas question de lâcher sa main. Je les ai écoutés parier sur Elena, {«…la claque qu’elle nous met sur l’adagio, on a aucune chance…»}, me suis laissée gagner à l’enthousiasme, à la joie, j’ai plissé les yeux et j’ai cru entendre son rire, dans ma voix, même si ça comptait pas…
J’ai laissé venir son bras entourer ma taille quand il n’y a plus eu de champagne. Voilà le rempart. Pas m’inquiéter. Me laisserai pas baiser par les fantômes du passé.

#8 -

No Comments Yet.

Leave a Reply

Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *