
dare – gorillaz
et mon poing dans ta gueule, il est bipolaire ?
Avant les vacances, ça t’avait obsédée, cette question. Borderline ou pas borderline. Big deal. C’était important de t’ancrer dans la réalité. Savoir de quoi on parle. Terminé les mythologies personnelles qui finissent toujours par donner cette impression d’usurper. Usurper : s’emparer par la ruse d’une dignité à laquelle on n’a pas droit. Tu parles d’une dignité. Mais bref. Au moins, comme ça, on allait te répondre. Même s’il fallait retourner là-bas, et voir cet imbécile qui n’écoutait jamais rien. Oh il était gentil, hein. Il signait des arrêts de travail, il filait des médicaments, suffisait de lui dire que ça n’allait pas vraiment. Ça te sidérait cet aveuglement. Tu te disais que c’était pas possible, quand même. Qu’il n’avait pas l’air, pourtant. Tu comprends pas pourquoi t’as une espèce de tendresse pour lui. Même encore à l’instant où tu écris, là. Parce que franchement, y a pas de quoi, hein. C’est bizarre pourtant. Il a l’air intelligent. Il a l’air de croire à ce qu’il dit. Il a l’air honnête et compétent. L’autre, celui de L., il le portait davantage sur sa gueule, son costume de branleur. Docteur Haine et Docteur Gold. Ah Ah. Quel tandem, bordel. Tu arrives là-bas, tout à l’heure. Il pleut, un déluge. Vade retro les signes. Tu te gares juste devant. Tu tournes la tête, c’est tout gris. Dans ton souvenir, c’était plus joli. En face, apparemment, la motarde a déménagé. Tu souris. Hop, allons-y. La standardiste, c’est une nouvelle. Dommage. Sésame, c’est la seule que t’aurais aimé revoir, à la rigueur. La seule un peu complice. Elle se marrait, ça la changeait. Ah ben comme par hasard le docteur est introuvable. Il y a des patients qui veulent le voir. Des familles qui s’inquiètent, qui voudraient dire deux mots, un peu savoir. Des nouveaux avec leurs valises. Et moi, qu’il a convoquée. C’est son seul jour de consultation, les autres jours, il reçoit en ville. Les autres jours, il passait dix minutes, le matin, pour savoir si t’avais bien dormi, si t’avais pas eu trop chaud, et c’est à peu près tout. Alors tu penses si tu t’en rappelles, des sitting à l’accueil le mercredi après-midi. Rien n’a changé, ici. Il est en réunion, il paraît. Où, quoi, comment, personne ne sait, toujours est-il qu’il est introuvable et que c’est pas comme si t’avais un autre choix que d’attendre une réapparition. Débarque l’infirmière, madame la générale en chef. Multi-diplômée côté c-est-pas-un-psy-à-la-con-qui-va-m’la-faire, tu vois le genre, une syndicaliste, des années de maison, etc. Deux coups de clairon et il se matérialise, réincorporation. Putain elle est forte, la générale. Il passe sans voir personne, court s’enfermer dans la pièce du fond. Il t’envoie la secrétaire, ben finalement je vais tout vous photocopier ‘voyez, il a pas le temps. Foutage de gueule en 16/9e, l’instant est rare. Est-ce que, vraiment, c’est une façon de faire. Y en a qui sont morts, un jour, à force de prendre les gens pour des cons. Tu finis par le coincer deux minutes. Et là, stupéfaction. Y a pas de compte-rendu d’hospitalisation. Nan mais il se souvient, hein, d’ailleurs, si il en avait écrit un, il y aurait écrit que t’étais bipolaire en développement, ou quelque chose d’approchant. Il te dit que bon, borderline en psyK c’est pas pareil qu’en psychiatrie, tu vois. Il t’explique qu’en psychiatrie, l’état-limite c’est une question d’addictions, de passages à l’acte, de peur de l’abandon, de paranoïa parfois, alors qu’en psyK ça signifie être entre la névrose et la psychose, c’est donc pas la même chose, donc voilà, en revanche le bipolaire, il passe par des phases dépressives, et des phases où il va très bien, alors vous pouvez encore avoir des phases dépressives, mais ça sera pas les mêmes, quoi que, attendez, j’ai comme un doute, là, tout à coup, bipolaire sans médicaments depuis deux ans, c’est tout de même étonnant. Tu crois à une blague. Ce mec se drogue, c’est incontestable. C’est hallucinant. T’y repenses en sortant, et tu te marres. Tu commences à comprendre, pourquoi tous ces médicaments. Les neuroleptiques que tu balançais dans les boyaux du lavabo. Les benzo, que tu réclamais, toujours plus, s’il vous plaît. Puisque là-bas, on te dopait. Maintenant que t’as lu le dossier, c’est devenu évident. Tu te souviens. Ton grand truc, c’était de parler des montagnes russes. Tu voyais pas quoi dire d’autre, comment expliquer. Et puis ça avait l’air de marcher, by the way. Tu voulais pas partir, tu voulais pas sortir. Tu voulais pas retourner dans ta vie, ni être guérie. Les montagnes russes. C’est tout ce qu’il a écrit, dans ton dossier. Raccourci sévère. Selon lui, tu es bipolaire – en développement, cependant, pas tout à fait terminée, mais ça peut évoluer. C’est consternant. En résumé, ce type t’as annoncé qu’il t’avait laissé filer sans avertir au minimum ta famille, partant du principe que le grand docteur prend tous ses patients pour des demeurés incapables d’aligner un complément derrière un verbe, bref, donc, dans cette clinique, il apparaît qu’ils foutent dehors des patients diagnostiqués comme bipolaires sans prévenir personne, pas même les dossiers médicaux. Putain ça fout les jetons, hein. Heureusement que ça te concerne pas. Parce que voilà. Tu lis ce qu’elle a écrit, ELLE, dans ton dossier. Les fois où ELLE le remplaçait. Probable pathologie limite. Et ELLE a listé l’essentiel, derrière. Waow. Déjà, à cette époque là. ELLE, tu ne l’as jamais trompée. ELLE n’a jamais été dupe. C’est peut-être une question d’intuition. Tu sais pas dire. C’est pas très conscient, forcément. Une alchimie analytique. Elle a lu Freud, ELLE. Alors que Docteur Haine, t’es même pas sûre. Trop occupé par les pages du Nouvel Economiste, probablement. Whatever. T’as dénoué le noeud, à présent. T’as compris ce sentiment, le doute, le flou artistique. Et maintenant tu sais bien, que t’y retourneras plus jamais. Puisqu’ils savaient même pas ce que t’avait.
(Contrairement à ELLE)
(Bipolaire, tu parles si c’est usurpé !)
sisters are made of gold !
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