Chronique #222 : Waiting Quotes

19 décembre 2005 0 Permalink 0
Anna
Une autre journée qui commence. Mettre un pied par terre, et puis l’autre, enclencher la machine du quotidien, se raccrocher à ce qu’on connaît, les automatismes, et hop, secouer la literie pour donner de l’air, et chasser les miettes, et puis effacer les plis des sueurs de la nuit, oh merde il y a des traces de café sur les draps, il faut les défaire, les tirer jusqu’à ce que les coins cèdent, bordel, je suis si fatiguée, pfff pensais pas que ça serait à ce point, tout de même, et puis les rouler en boule, et bouger du lit vers la machine, s’accroupir sur le parquet de la cuisine, ouvrir le tambour, attraper la lessive et le reste du linge qui attend, tourner le programmateur, appuyer sur l’interrupteur, et puis retourner dans la chambre, direction la commode, ouvrir le tiroir d’en bas, attraper une paire de rechange, et se relever, demi-tour, le lit encore, et voir la tache, la putain de tache de sang, là, à dix centimètres, sur le drap blanc à peine sorti de ce putain de tiroir, et en voir d’autres, à côté, et de plus en plus, et sentir le danger arriver, comme là-bas quand les gouttes pleuvaient sans préavis, menaçant de tout emporter, et alors s’asseoir, comme avant, et lever la tête, quand tu lèves la tête ça s’arrête, même pas peur quand tu lèves la tête, tu fais la fière, c’est toi qui provoque, c’est moi la plus forte…
Je me vide, je me vide de ce sang qui coule interminablement, je cède du terrain à l’intolérable, aux nausées, aux vertiges qui m’attrapent n’importe quand. Qu’est-ce que j’attends. Bordel. Je me défile. Qu’est-ce que j’attends.
Il n’y a plus rien devant, aucun rendez-vous, aucun engagement. L’était furax quand il s’est cassé, tout à l’heure, il a claqué la porte, et c’est tout l’immeuble qui a tremblé. Pas le choix. Préfère être salope que morte. Il ira chasser ailleurs, jouera au grand prédateur, et ça lui passera, pas s’en faire pour ça, pouvais pas lui dire de rester, je veux pas voir son regard changer, non, bientôt il ne restera plus rien, rien, rien de ce corps qu’il baise si bien… Si seulement j’avais pas croisé Emma au tabac. Me faire coincer au tabac. Bordel. Elle fume pas, qu’est-ce qu’elle fout là ?

Elle me tape sur l’épaule. {Hey, Anna, tu fais la morte ?} Je me retourne et la défie, oh Emma chérie, tu vas les regretter ces mots, tu ne pourras pas les oublier, tu voudras ne jamais les avoir prononcés… Je souris, ma voix s’anime, faut occuper le temps et me tirer de là fissa, pas rester là, partir avant qu’elle m’attrape, disparaître avant qu’elle s’inquiète… je fuis mais c’est trop tard, elle me dévisage en silence, et je flanche. Peux pas lutter, des années qu’elle me connaît comme sa poche, tout ce qui a été traversé, le pacte. Dans ses yeux il n’y a plus que la stupeur, l’effroi, ce putain de regard que je ne veux pas voir. Et voilà qu’elle m’engueule. Et voilà le réflexe professionnel, là voilà qui incarne au monde ce truc juste pas possible, non, pas moi, enfin, pourquoi, et voilà qu’elle menace, il lui faut une promesse, tout de suite, sans attendre, {vas te faire mettre avec tes théories, tu vas pas tout foutre en l’air, te laisserai pas nous faire ça, oh, regarde-moi !} Il a fallu céder. Larmes. Peur, tellement peur. Me sens tellement faible, si tu savais. Plutôt mourir qu’abandonner. Peux pas voir ça, tu sais. Ses yeux changer. Mon image transformée. Ça lui couperait les ailes, elle pourrait plus s’envoler. Je raconte et le regard d’Emma, catastrophé. {T’es complètement barrée, ma grande. Tu confonds tout… T’as perdu pieds. Faut te bouger…}

Je baisse la tête. Les draps souillés sur mes genoux trop maigres, des ecchymoses parsemées de la tête aux pieds. Qu’est-ce que j’attends. J’en ai pas terminé avec ce qui s’est initié. Pas oublier ce à quoi je me suis engagée. J’ai trop parlé. Va plus me lâcher. Me taire. Obéïr à sa volonté.

Le sang a séché. Plaie cicatrisée. Rapide caclul mental. L’est encore temps. Encore temps de lancer la bataille. Encore temps pour les médocs, la chimio, le protocole, tout le barnum. Allez. Analyser.

#5 -

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