Chronique #221 : On the Road

20 décembre 2005 0 Permalink 0
Adèle
Vite, trouver quelque chose à répondre aux cinq regards braqués plein phares. Oh lala. Laissez-moi. Je suis rien, moi. Je suis… je suis les traces… Putain, peux pas dire ça, vont me prendre pour une cinglée, vont croire que je suis adepte d’une secte, ou ce genre de truc… Merdeuh… Ooooh, et arrête, toi, arrête de me regarder comme ça, avec ton air de chien battu, toute la misère du monde noyée dans tes yeux clairs, etc., dis, tu vois pas que tu me fais trébucher, tu vois pas que je vais me casser la gueule, tu vois pas que je vais commencer à te parler, et qu’on pourra plus m’arrêter, tu vois pas qu’il n’y aura qu’à toi que j’aurais envie de plaire, et à qui je me livrerai toute entière, pieds et poings liés, juste pour te sauver, tu vois pas que je sais à quel point je resterai accrochée, après, comme une verrue sur la plante de ton pied, un truc dont tu ne te débarrasses plus jamais, à moins d’y aller au scalpel… j’ai pas envie de lâcher le fil, bordel. Veux aller jusqu’au bout, et le bout c’est pas toi qui le tient, toi t’es une sale sirène, toi tu… Ah.

{Prenez garde à la fermeture automatique des portières, attention au départ.}

Oufffffff.
Sauvée par le gong. Le train s’ébranle. Il y a comme un flottement. Le temps d’accorder l’équilibre des corps à la cadence du moteur. Silence. {T’es nouvelle?} Arf. Oui, oui, on peut dire les choses comme ça, voilà.

Son prénom, c’est Elena, à la fille bleue d’en bas. Si j’en crois le garçon au violoncelle qui s’engueule avec elle. M’ont oubliée, on dirait. Ca m’arrange. Y a marchandage. {Mi bémol. Ah Ah. Pas du tout, n’importe quoi. C’est un Do dièse}. Sais pas de quoi ils parlent. Pas mon problème. Occasion rêvée de disparaître. Je me gomme. M’allonge comme si j’étais exténuée. Bien joué. Mais va falloir tenir quinze heures. Quinze heures, merde. Je vais pas pouvoir rester là tout ce temps allongée sans bouger, et si j’ai envie de faire pipi, merde, je fais quoi. M’en tenir au fil. Me taire, surtout, oh surtout, taire ma voix. Faire comme si je n’existais pas… Ca parle d’un concours, d’une fête annuelle, de probabilités, de qui va gagner… Ils sont chefs d’orchestres. Ou accompagnateurs. Je comprends qu’ils font le même voyage chaque été, pour élire le meilleur, ou un truc du genre. Putain. Suis tombée en plein pélerinage à la Mecque, ou pas loin. Quel bol. Grrrrr. Pas prévu, ça. Me sens tout à fait seule. Chier. Se raccrocher à quoi. Va se passer quoi…

{- Chhhhhhhuuuuuuutttttt ! tu vois pas qu’elle dort ?}

J’ai bondi. Bien failli m’ouvrir le crâne. Sais pas ce qu’ils ont fait tomber, mais c’est du lourd. Du brutal. J’ouvre un oeil. Des étuis éventrés sur le sol, des pages de partitions abandonnées sur les lits, et plus de violoncelle. Et plus personne, d’ailleurs. Tous partis. Pffff. Je veux dormir. Je les entends rire. Font quoi, là, avec leurs instruments ? Pffff… et puis j’entends… oh noooooooonnnn… putaaaaaaaaiiiiiiinnnn… pas la Traviataaaaaaaa… pas Sempre Liberaaaaaaa… pas Violettaaaaaaaa… pas làààààà….

Désespoir. Suis sûre que c’est lui. Suis sûre que c’est elle. Bordel.

Pourquoi moi.

#7 -

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