Chronique #186 : Waiting Quotes

16 décembre 2005 0 Permalink 0
Adèle
Et me voilà à présent à attendre. Attendre, attendre, attendre. Attendre, et c’est tout. Attendre que le monde tourne, et il n’y a personne pour mettre un grand coup de pompe sur l’accelérateur. C’est pas bien organisé, leur système. Attendre, comme s’il n’y avait rien d’autre à faire. On me dit mais ça va passer vite enfin voyons, fais pas ta tragique, y a vraiment pas de quoi, et pourquoi tu ne sors pas, vois des gens, ça te changera les idées, tu verras, tiens on fait un billard ce soir, ça te tente, allez viens, reste pas toute seule, ou alors un ciné demain, si tu préfères, y aura le nouveau coloc’ de Jonas, c’est une bombe ce mec, et pourquoi tu réponds plus au téléphone, et c’est quoi cette nouvelle manie avec l’Inde, t’as pété un boulon ma grande ?…
Tssss. Les gens sont terrifiants. Toujours un avis sur tout, rapport à ma vie, toujours plein d’idées s’ils étaient moi, à se demander si je fais pas exprès ou quelque chose du genre tellement des solutions, ils en ont, du genre à te filer le mode d’emploi, et si par malheur tu suis pas ça les contrarie, et vas-y qu’ils s’inquiètent, et vas-y qu’ils te flinguent à bout portant, sans même prendre de gants, te foutent le nez dedans, comme si j’étais née hier et qu’il y avait tout à faire. Mêlez-vous de vos à faire, bordel. Chacun son business. Foutez-moi la paix. Je ne suis pas intéressée. Pas envie de me distraire. Pas envie de m’extraire, pas envie de m’animer, contribuer, échanger, choisir un truc, n’importe quoi, un resto, une virée, une expo, ou même simplement d’aller boire un verre… Envie de rien. C’est vain. Utopique, même. J’attends et ça prend toute la place, parce que c’est ce que je préfère. J’attends et ça m’habite tellement. Presque bandant. Une liberté nouvelle.

Je vais prendre un bain. Me couler dans des senteurs d’orient, allumer des bâtonnets d’encens, parfumer ma peau d’huiles essentielles, et laisser tourner mon cd de musique bollywoodienne. Et peut-être que je vais oser me dessiner le tika porte-bonheur. Ouais. M’installer un troisième oeil. J’ai tout appris de ce truc la semaine dernière, sur Internet. Ca va faire du bien. Et puis je méditerais, peut-être. Me soustraire au décompte. M’apaiser. Et puis après, brancher l’ordinateur. Peut-être qu’il y aura ce message, la réponse, peut-être qu’il va dire oui, peut-être aller signer ces papiers à la banque, peut-être qu’il y aura de l’euphorie, aujourd’hui. Voilà, voilà ce que je vais faire, voilà comment je vais organiser ma journée, faudrait que je parte d’ici, faudrait que je me tire sans rien dire, et revenir libérée, si je pars jusqu’au bout il n’y aura plus rien à attendre, oui, c’est ça, il faudrait que je trouve un endroit compatible, mais où partir pour assouvir mon impatience, où trimballer mon corps pour que ma tête suive avec, aucune idée putain, c’est… AH ! Bombay ! Bon sang ! Bombay ! Suis con de pas y avoir pensé avant. La solution est sous mes yeux, là, affichée aux murs, Bombay, fatalement ! Tout de suite, appeler le consulat, et après réserver un charter. Faire mon sac, et filer à la pharmacie pour les médocs. Vite, partir là-bas, vite, c’est ça qu’il faut, c’est ça, c’est ça… pas perdre une minute. AH AH ! Vont me prendre pour une dingue, tous, mais je m’y vois déjà. Je vais la comprendre cette ville. Vais me balader partout, même à Falkland Road, et puis les grottes d’Elephanta bien sûr, et arpenter le quartier du Fort évidemment, la moindre ruelle, il faut que je m’imprègne, que je m’imprègne, ça va coller, parfaitement.

Et merde. L’Inde, pas possible. Il faut un visa, quinze jours d’attente minimum si tout va bien. Il faut attendre, encore, et attendre, interminablement, c’est complètement fou, cette manie, j’ai été complètement folle, j’ai hurlé, menacé, au consulat ils m’ont quasi raccroché au nez.

M’en fous. Je pars quand même. J’ai réservé une couchette à l’arrière de l’Orient-Express. Me suis dit que faire avancer les paysages, c’était encore le meilleur moyen de voir le temps défiler. Coller l’attente sur des rails. Vais faire escale en Autriche, et puis après je traverserai les frontières de l’est, j’irai à Prague, ou Budapest. Tant pis pour Bombay. Dommage. Mais après tout, Vienne, c’est une autre trace.

#3 -

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