Aujourd’hui Caroline Bongrand publie Le Corset Invisible, un manifeste pour une nouvelle femme française co-écrit avec Eliette Abécassis. En écho à Pierre Bourdieu, Le Corset Invisible propose un bilan de la condition féminine du XXIe siècle, et tente de comprendre ce qui ne va pas : pourquoi une femme qui réussit sa carrière reste célibataire. Pourquoi celle qui se marie amoureuse est, cinq ans plus tard, au bord du divorce. Pourquoi ni l’homme ni la femme ne trouvent leurs marques dans la relation de couple. Pourquoi les femmes ont tellement peur de la ménopause. Pourquoi la société actuelle ne leur laisse pas d’autre choix que d’être toujours plus minces et toujours plus jeunes. Pourquoi elle leur inflige une telle pression. Pourquoi la femme moderne, qui se voulait libérée, se retrouve « esclavagisée », prise dans un corset invisible.
Un essai intelligent et truffé de bon sens. A lire de toute urgence !
ENTRETIEN – AVRIL 2005
Raconte nous… Le métier d’écrivain, c’est quoi ?
C’est l’apprentissage des autres, de soi même et de la vie. Observer, et comprendre – même si cela doit prendre des années, pourquoi et comment une réaction humaine se forme, ou encore une émotion. C’est un travail qui ressemble un peu à celui du psychanalyste, finalement – ou plutôt, de celui qui fait tout le travail, allongé sur le divan, le psychanalysé. C’est apprendre à ne pas transiger avec la qualité, mais cela ne se fait pas en une fois et en un livre, il faut des années pour affiner son exigence, son oeil, mais aussi pour réduire son orgueil à néant – le secret c’est de ne pas tomber amoureux de ce qu’on écrit, et de jeter, jeter, jeter – et réécrire, réécrire, réécrire. Certaines personnes ont du génie, cela arrive, mais c’est rare. Je crois plus au travail, ligne après ligne, jour après jour.
Le métier d’écrivain, c’est l’art de savoir travailler sans structure, sans cadre, sans horaires, sans commande, sans rien, dans une liberté totale et donc effrayante, vertigineuse – surmonter le chaos et réussir à s’organiser, à se structurer, malgré l’absence de structure. C’est l’art de ne pas céder au découragement. C’est le métier le plus facile et le plus difficile du monde. Un métier magique puisqu’il permet de vivre plusieurs vies en une seule. Dangereux parce qu’il désocialise terriblement, isole. C’est un métier ou maintenir l’équilibre est vital. Donc une forme de voltige – enivrante, certes, mais qui peut mettre en péril.
Et la vocation… depuis quand est-ce que tu sais que tu dois écrire ?
Je ne l’ai jamais su. Ce serait prétentieux de dire que je dois écrire. C’est la seule chose que je sais faire. Donc je m’accroche. Pour le faire du mieux possible, c’est à dire, dans le respect de moi même, de mes lecteurs, de mes personnages, des valeurs qui sont les miennes… et que j’entends bien servir…
Et l’inspiration… ? Comment naissent tes livres ?
Comme les enfants. Dans les choux !
C’est non seulement différent pour chacun de mes livres mais en plus il y a eu deux phases dans ma vie – la deuxième ayant commencé en 2000 – et les motivations depuis que je suis entrée dans cette seconde phase ne sont plus les mêmes, et donc, mon rapport à l’écriture, et donc aux sujets que je choisis, et la manière dont je les traite, ne sont pas les mêmes non plus. Avant, pour commencer un livre, il me suffisait d’une phrase ou deux, d’une idée, et je me lançais. Aujourd’hui il me faut l’histoire complète avant de commencer, même si, inévitablement, au cours de l’écriture, les personnages m’entraînent sur des chemins imprévus – c’est d’ailleurs ce qui fait la beauté de l’écriture, ces surprises qui semblent émaner tout droit de l’âme des personnages, de leur volonté, et non de celle de l’auteur. Dans un livre, les personnages prennent vie bien plus qu’on ne l’imagine. Par moment ils co-écrivent l’histoire avec vous. C’est très troublant.
Donc, je disais… avant, je plongeais sans réfléchir, aujourd’hui je réfléchis beaucoup plus. J’écris depuis 17 ans (j’ai écrit Le Souligneur en 1989 ! c’était mon deuxième roman après La sentimentalité du boulanger, jamais publié). Depuis cinq ans environ je suis (enfin) sortie de ma soif de reconnaissance et du besoin d’être regardée par les autres, j’ai cessé de mélanger les rubriques et donc maintenant j’écris seulement pour écrire. Et non pour « devenir quelqu’un », « être aimée » ou je ne sais quoi d’autre. Besoins qui ne sont pas *mal* en soi, mais qui doivent à mon avis être traité par autre chose que la littérature. Donc, je suis maintenant un écrivain *libéré*. Il était temps. Pour revenir à ta question, car ma digression fut totale… mes livres naissent la nuit, en avion ou dans l’eau. Je ne note jamais mes idées. Je pars du principe que si elles reviennent le lendemain, il y a peut être une raison. Je les teste. Je teste leur volonté de s’imposer à moi. Je teste l’alchimie entre elles et moi.
Et l’écriture… Est-ce que tu as des habitudes, des rituels ?
Je n’écris que dans mon appartement, sur une petite table, devant une fenêtre. Certainement pas devant un coucher de soleil. Je ne sais pas écrire ailleurs, écrire dans les cafés, non. Rien ne m’inspire que chez moi. J’ai tenté d’emmener mon portable – ou d’écrire à la main – devant des paysages superbes, ou simplement apaisants, et non, cela n’a jamais rien donné. Quand je suis devant un coucher de soleil, c’est pour fermer les yeux et savourer l’instant, certainement pas me transposer ailleurs dans la peau de quelqu’un d’autre, à cet instant, je veux être dans ma peau. Bon, cet exemple de coucher de soleil n’est pas très bon. Je me fiche des couchers de soleil, je préfère mille fois lorsque le soleil est haut et qu’il inonde le monde de sa lumière. Le seul rituel que j’ai, mis à part m’asseoir sur ma chaise, lever les yeux sur le mur, blanc, ou vers le ciel, ce sont les bougies. J’’allume une bougie quand je commence à travailler, je l’éteins lorsque j’arrête (quatre ou cinq heures plus tard). Le choix de la bougie est très important, je prends le temps de trouver le parfum qui m’enivrera suffisamment. Ca devient très vite pavlovien. J’allume, et je retrouve l’atmosphère que j’ai créée pour l’histoire que je raconte.
Quelques mots sur tes romans ?
Le deuxième (Le Souligneur) était en réalité le premier, j’en ai écrit quatorze et les meilleurs ne sont pas forcément les publiés. J’ai eu pendant sept ans un éditeur remarquable – mais elle me poussait à développer ma noirceur et à aller au fond de mes douleurs. J’ai deux veines, au moins, et même si « j’ai du fond », ou, pour reprendre le mot d’un journaliste, « de l’estomac », je ne suis pas si sombre. Je crois qu’on le voit dans Pitch – j’ai aussi beaucoup d’humour. L’Enfant du Bosphore (qui devait s’intituler autrement, ce titre a dû être trouvé dans l’urgence en 40 minutes après menace de procès !!!) se termine bien, malgré tout !
Avec L’Enfant du Bosphore, tu abordes un genre différent, est-ce que l’inspiration et l’écriture ont été les mêmes qu’auparavant ?
Il y a, dans la vie, un avant et un après. Avant d’être mère, et après avoir donné la vie. Cela bouleverse tout, absolument tout. Comment l’écriture pourrait-elle échapper à ces profonds changements ? Je suis mère, et depuis que je suis mère, je n’écris plus pareil, mais je ne vis plus pareil non plus.
Qu’est-ce que tu fais en ce moment ?
Je vis… car on ne peut pas faire qu’écrire, il faut se nourrir de vie, d’amour, de lumière, de beauté, d’amitiés…
Tes projets ?
Je t’en parlerai bientôt… une histoire d’amour.
QUESTIONNAIRE PIVOT
Votre mot préféré ?
J’ai dépassé cette phase ou j’avais un mot préféré. Je n’aime que les gens.
Le mot que vous détestez ?
Tout mot affreux mis dans un joli contexte développe une certaine poésie donc… peut-être que je n’aime pas les mots *pour faire plus vite*, gagner du temps – pitch par exemple. Pourquoi aller plus vite ?
Votre drogue favorite ?
Aimer.
Le son, le bruit que vous aimez ?
L’eau (vagues dans le bain, mer, fontaine ou rivière !)
Le son, le bruit que vous détestez ?
Les klaxons, et généralement les injures qui vont avec.
Votre juron, gros-mot ou blasphème favori ?
Je ne blasphème pas. Une insulte entendue dans la bouche d’un enfant de 4 ans que je connais : « espèce de baveur ».
Homme ou femme pour illustrer un nouveau billet de banque ?
Il faudrait quelqu’un d’humble, avec une vision, un homme qui se serait effacé pour servir une cause ou une idée, sans que son orgueil, ego, s’en soit mêlé. Ces gens là généralement restent des anonymes, donc nous ne connaîtrons pas son visage. Mais ce serait une idée, non ? Evidemment, je mettrai des résistants – Aubrac, Moulin, ou moins connus – de préférence moins connus. « Grand résistant », petit résistant ? Qu’est ce que ça veut dire ? Il y a ceux qui ont résisté, tôt, c’est tout. Un de ceux, une de celles là, car les femmes étaient très, très actives. Un juif, tiens, pour que les Français se souviennent aussi que dans leurs grands hommes… ou pourquoi pas, quelqu’un d’une origine ethnique particulière. Une femme, évidemment. La parité devrait commencer là.
Le métier que vous n’auriez pas aimé faire ?
Ce n’est pas tant le métier que le contexte : tout métier est valable si ceux avec lesquels et pour lesquels on travaille nous respectent. Je n’aurais probablement pas pu exercer un métier physique, j’aurais tourné de l’oeil. Ou un métier me privant de la lumière du jour – pas de fenêtre du tout – j’aurais aussi tourné de l’oeil.
La plante, l’arbre ou l’animal, dans lequel aimeriez-vous être réincarné ?
Je ne voudrais pas être une plante, ni un arbre. Je voudrais que la génétique porte ce qu’il y avait de meilleur en moi dans la génération future- la descendance de ma descendance- et que cela leur donne de véritables atouts- ne serait ce qu’un seul- pour leur vie à eux. Après moi, non…
Si Dieu existe, qu’aimeriez-vous, après votre mort, l’entendre vous dire, à vous ?
Si nous prenons l’hypothèse que Dieu a forme humaine, avec des yeux un nez et une bouche – ce à quoi je n’adhère pas…- mais bon, imaginons cela… Qu’il ne me dise rien mais qu’il me sourie, un peu ému. Et je comprendrai que je n’ai pas trop mal fait.
LIVRES
Manatthan Désarroi, Payot (1991)
Le Souligneur, Stock (1992)
De la Bouche des Enfants, Stock (1993)
Avant de te dire oui, Stock (1995)
Maximum, Stock (1996)
Pitch, NiL (2000)
L’Enfant du Bosphore, Robert Laffont (2004)
Le Corset Invisible, Albin Michel (2007)
voir aussi : Caroline Bongrand sur Wikipedia
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