
Han.
Merde, alors.
Oh my gode.
Là aussi, là encore. Comme si j’avais pu ne serait-ce que commencer à imaginer qu’il me racontait autour de lui, ce garçon là. Au point que mon voisin de table s’en souvienne. Se souvienne de moi. Dix-huit ans ans plus tard. C’est à peine croyable. Je n’en reviens pas, et je me rappelle. Et putain, y a un truc au moins qui est certain : la vie a beaucoup d’humour… Toujours elle distribue les mêmes cartes, et vas-y débrouille-toi, c’est comme au poker, d’abord tu combines comme tu peux, tu combines au mieux, en gros tu fais avec ce qu’on te donne, et puis après, tu bluffes.
Mais bref.
Situons les personnages. Je m’essaie à un nouveau style. Alors.
Dix-huit ans plus tôt, Mademoiselle Moi rompait la loi du silence. Il y en a qui font des cocktails, de l’alcool, des médocs, peut-être que c’est ça qui l’a rendue malade. Au collège, on n’aime pas les balances. On les isole. Au collège, la première règle, c’est le front commun contre l’autorité, alors tu te tais, tu racontes rien, surtout pas à ta mère, tu restes solidaire. Alors ils s’étaient regroupées autour de D., celle que j’avais accusée, et ils m’avaient chassée, abandonnée, et j’avais oeuvrée pour être récupérée par les juniors, les *petites soeurs*, C., et S., et surtout Sa., et tous ensemble nous étions partis skier une semaine, parce que tous on faisait partie d’une espèce d’association d’ados, et finalement on avait du partager le même dortoir, D. & les grandes, les petites, et moi. Et finalement on s’était réconciliées, sans doute c’était l’air de la montagne, mais passons. A Val d’Isère, il y avait aussi Emmanuel, et son pote Fred, et puis Charlotte, et eux ils étaient au lycée, ils étaient là pour nous monitorer, en quelques sortes. Ils étaient animateurs. Emmanuel était raide-dingue de Sa. Pas elle. Elle, elle allait tomber dans les bras de Lu., qui est parti aujourd’hui, enfin pas complètement. Moi, j’étais amoureuse d’Emmanuel. Fatalement. Visiblement, déjà à cette époque là, je savais très bien faire cette chose là. Aimer qui en aime une autre. Anyway… On va en rester aux faits. Je lui ai été fidèle des mois, et des années, même. Au point qu’on était tout le temps fourrés ensemble, au lycée. Au point qu’il m’a valu mon premier arrêt sur image, à la West Side Story style. Un jour qu’il était arrivé par surprise, et que je ne m’en suis jamais autant voulu d’être sage au point de n’avoir pas pensé à sécher un putain de cours d’allemand. Au point qu’on nous pensait ensemble. On avait bu du champagne, le jour où il avait eu son bac. J’avais repoussé le joli T. sur la plage, à Deauville, l’été d’après. Alors qu’il était parti. Je m’en foutais. On avait le temps, tout le temps, toute la vie, chabada, tralala. Lui et moi, on s’écrivait. On ne se voyait presque plus jamais, ou alors seulement quelques minutes, le week-end. Mais parfois, on passait des heures à discuter. Dans ma chambre. Dès qu’on se croisait dans une soirée, quelques années plus tard, on ne pouvait plus nous décoller, et la copine qu’il s’était trouvée n’avait pas vraiment apprécié. Un jour, j’avais osé. J’avais envoyé une lettre, j’avais dit l’intérieur, j’avais franchi la ligne. Et puis je l’avais rencontré, au coin d’une rue, et il avait fait comme si de rien n’était. Alors j’avais décidé d’oublier. Alors j’avais enfoui. Hop, hop. Disons qu’on efface le coming-out, vite, vite. Et quand, la semaine suivante, il m’avait dit au fait, elle était jolie, ta lettre, j’avais bredouillé deux trois trucs idiots, j’avais plaisanté, ouais, faut pas faire attention, ah et d’ailleurs, j’avais écrit quoi ? J’avais fui. Panique à bord. Comme si c’était trop tard, comme si j’avais de toutes façons décidé qu’il ne voulait pas de moi de cette manière là, comme si j’avais écrit l’histoire toute seule, voilà, alors que finalement, quand on y pense, c’était peut-être simplement une question de timing. Humpf. Parfaitement ridicule. Mais voilà. J’avais pris ce chemin là. On tourne la page, on s’invente un livre d’images, et on va recommencer le même bordel ailleurs, cent fois. Mais jamais avec cette fraîcheur là. Sans doute pas. But bref. Je n’ai plus répondu à ses lettres, j’ai pleuré quand j’ai reçu l’invitation à son mariage, cinq ans plus tard. Ecrasée par la fatalité. Bien trop fidèle à mes sentiments d’autrefois. J’avais tellement cru que ce garçon était pour moi. Et moi pour lui. Tellement cru qu’il fallait juste patienter jusqu’à ce qu’il réalise, un jour, que c’était prévu comme ça.
Alors voilà. L’épilogue de tout ça. Aujourd’hui, j’ai déjeuné chez la mère de D. qui vit désormais avec le père de Lu. Il y avait D. et sa famille, et il y avait aussi V., sa soeur, et son mari. Qui lui est le frère d’Emmanuel. La boucle est bouclée. On a retrouvé tout le monde, ou presque. Incroyable, n’est-ce pas. Le tourbillon de la vie, quand on s’est connus, quand on s’est reconnus, pourquoi se perdre de vue, se reperdre de vue, et tout le tralala. Bon. Il se trouve *en plus* que la mère de D. et le père de Lu. sont les proprios de la nouvelle home, sweet home qu’on a, Léon, le chat, et moi. Un hasard. Oui, oui. Ma vie, c’est comme n’importe quel bouquin de Danielle Steel, tout s’explique. Recoupements après recoupements. Mais c’est pas tous les jours un jeu d’enfants. Croyez-moi.
A part ça.
Aujourd’hui, j’ai en plus appris qu’il était finalement kiné. Emmanuel.
Je crois que c’est ça qui m’a tuée.
Emmanuel est kiné.
Bordel.
Dire que si ça se trouve, aujourd’hui, avec les *si* qui nous envoient en l’air, il y aurait toutes les nuits dans mon lit un KINÉ.
Mother of god !
C’est pas loin d’être désespérément frustrant.
Cela dit.
Ça m’apprendra à avoir été aussi con quand j’avais quinze ans.
Et toutes les années derrière.
Faut que ça change, hein.
Sans blague.
(Je crois que ça arrive bientôt, l’ère du renouveau. C’est une question de semaines, sur les doigts d’une main)
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