C’est comme si je n’avais plus envie de vomir les mots comme on accouche en suppliant qu’enfin arrive la délivrance. C’est comme si, à l’instant, je n’avais plus rien à dire. Mutique. Je délimite. J’enfouis, et même si parfois je m’effleure, c’est pour mieux te faire taire, mon enfant, ma douleur. Tralala.
A part ça.
Aujourd’hui, ils vont m’appeler Madame.
Aujourd’hui, je serai l’adulte. L’enseignante. Le vecteur de transmission.
Moi, qui me sens si petite.
Face à eux, qui se croient déjà si grands.
Dix-huit ans. Tout juste sortis du bac. Tout juste majeurs, tout juste ivres de cette liberté qu’ils ont fatalement espéré des mois durant, celle qui les invite à déployer leurs ailes, celle qui caresse leurs rêves, celle qui les engage à choisir la partie à jouer, une responsabilité.
Et moi, je serai de l’autre côté. Bien obligée. Sans doute, c’est une nécessité. Sans doute, je vais me positionner. Créer la distance. Finie, l’adolescence. Il s’agit de marquer les frontières. Il s’agit d’être grande. Pour la première fois, je m’interdis la cour de récré. Pour la première fois, je vais travailler sous une identité clairement déterminée. Je crois que ça va m’aider. D’ailleurs c’est pas un hasard, hein. Si comme par hasard ça paie pile-poil la nouvelle ELLE que j’ai. Non. C’est fait exprès. C’est par là qu’il faut évidemment commencer. On verra après, on verra comment assumer la suite, on verra l’inévitable, on verra ce que je finirai par poser sur la table, on verra les moyens qui seront donnés. J’ai confiance.
Cela dit.
C’est inouï cette manie qu’a le destin de vouloir sans cesse retourner vers le passé. C’est inouï de croiser sans cesse les mêmes silouhettes, c’est inouï de voir débarquer à nouveau les mêmes squelettes, c’est inouï comme le monde est petit alors qu’il paraît qu’il y a des milliards d’habitants tout autour. Il fallait que ce soit dit. Bon. Je ne sais pas où ça va m’emmener. En attendant, j’ai pas fini de rigoler. C’est toujours ça de gagné !
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