on play : elle me contrôle – matt pokora
ELLE m’a dit un jour… en résumé, vous avez besoin de témoigner.
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Molly m’a menti. J’ai téléphoné à sa soeur, hier. J’ai changé de camp, on dirait. Quinze ans après. Mais bref. Il n’y a pas eu passage à l’acte, comme on dit chez les psy, non, pas du tout même, elle s’est volontairement mise à l’abri, elle s’est réfugiée dans l’art-thérapie. «Ça sert à rien, mais au moins on sait où elle est…» Debbie est blasée. Trois ans que ça dure. Les hospitalisations, les disparitions, les dévastations, les médocs, et l’alcool. «Bordel, elle a deux gosses ! Je comprends pas, ça, tu vois, je comprends pas, moi qui suis maman…»
Alors j’ai parlé, longtemps. Je lui ai raconté. La maladie. J’ai matraqué, matraqué, matraqué. C’est sorti tout seul. Ma fameuse théorie des parallèles avec la l.e.u.c.é.m.i.e. Elle a un peu grogné, d’abord. Fatalement. Debbie est infirmière dans un service de cancérologie infantile. Mais elle m’a laissé dérouler le fil jusqu’au bout. Les ressemblances. La chimiothérapie. Les rémissions. Les rechutes. Les mois d’angoisses. Les batailles, la lutte. La douleur. La capitulation, parfois. Le risque mortel. Le découragement, et l’espoir aussi, de temps en temps. Cancer du sang vs cancer de l’âme. Seulement voilà. Dans le premier cas, on dit oh mon Dieu, quelle épreuve, personne ne mérite ça. Dans le premier cas, il n’y a pas de doute, c’est médical. Dans le premier cas, on mesure la douleur. On l’écoute. Dans le premier cas, il n’y a personne pour dire, oh hey, fais un effort, merde, t’as des gosses, je te rappelle. Dans le premier cas, c’est juste la faute à pas de chance, tu vois. C’est pas de ta faute à toi, si t’es malade. Manquerait plus que ça.
Molly, elle boit.
Alors ils disent, c’est l’alcool, son problème.
Alors ils disent, elle n’a aucune volonté, à croire qu’elle fait exprès.
Alors ils disent, quand elle sort de cure, ça va, mais elle tient quinze jours, et encore, hein, c’est son record, c’est arrivé une fois.
Alors ils disent, elle raconte n’importe quoi, c’est une menteuse, il faut se méfier, elle n’est plus dans la réalité.
Etc.
Bordel.
Mais c’est pas du tout ça !
C’est dingue. Ça me sidère, à chaque fois. La confusion des sens. Hey, Debbie. Faut que je te raconte. A la base, il y a la pathologie. La maladie. La tumeur. La dépression, puisqu’on appelle ça comme ça. A la base, il n’y a pas l’alcool. L’alcool, c’est la conséquence. La métastase. Le piège. La partie émergée de l’iceberg. Il faut creuser plus loin. Il faut écouter, écouter pendant des heures. Il faut tout entendre. Il faut analyser. Il faut repenser. Il faut ouvrir une porte, et inventer des repères. Livrer la connaissance du mal. Parce qu’à force de se tromper d’ennemi, on se trompe de guerre. Parce qu’il faut s’emparer du poste de contrôle. Parce que c’est la seule manière de rétablir la confiance, et l’espoir.
Believe-me.
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