Chronique #638 : Et là, c’est le drame

05 septembre 2005 0 Permalink 0
never been to me – charlene
si toi aussi tu m’abandonnes…
«Qu’est-ce que t’as encore fait ?»

Il me réveille avec des baffes. Il a cette voix que je déteste. Les intonations d’une réprobation glaciale, impersonnelle et sans appel. Il n’est pas inquiet. Furieux, exaspéré, mais détaché. Je bredouille, accablée. Laisse-moi tranquille, bordel. Laisse-moi mourir. Puisque tu ne m’aimes pas. Comme d’habitude. Puisque je n’y arrive pas. Puisque j’ai beau tout essayer, pour vous y forcer, puisque ça ne marche pas. Puisque tu m’as utilisée, encore hier, putain, est-ce que tu t’es rendu compte, au moins, est-ce que tu as réalisé, ça m’étonnerait. Puisque ça fait tellement mal, si vous saviez. Il se relève. Il me laisse tomber. Tu fais chier. Il y a ma mère, au téléphone. Soupir. Je veux dormir. Je veux glisser dans l’univers. Je veux me fondre, et ne plus spéculer. J’ai décidé. J’ai renoncé. Je veux de la tendresse, une main qui caresse, une main qui accompagne, et c’est comme le jour où ils avaient viré le gentil garçon qui veillait à côté, avant de me plonger dans l’eau glacée. C’est pénible, cette manie qu’ils ont de venir m’emmerder quand enfin la douleur s’est envolée. J’ai rien demandé. La chambre est noire, mais il a laissé la porte entre-baillée et la lumière me gêne. Laissez-moi tranquille. Je ne veux pas parler. Je flotte. Nettement shootée. C’est fini de lutter.

Le jour d’après, ils sont venus récupérer leur bagage. Je dormais. Lève-toi, on t’emporte. Allez, viens, on t’emmène. J’ai fait ce qu’on m’a dit. Debout, assise, couchée. Pantin mutique. Tout va bien, je suis folle. Il y a comme une jouissance, le jour d’après. Le repos du guerrier. L’apaisement du condamné. Tout le monde sait. Plus besoin de fanfaronner. Je suis désaxée. Plongée dans un brouillard d’anxiolytiques. Je les laisse se rassurer. Décider. Parler. Je me tais. Désengagée. Désincarnée. Ca ne me regarde pas. Je me retranche. Je me replie. Béatitude, extase. J’ai tout laissé tomber. Que c’est bon, la légéreté.

Il faut m’hospitaliser. En observation, c’est hors de question. J’ai besoin de repos, longtemps. J’ai besoin de quitter la ville. Et puis je connais une clinique. Molly a été envoyée là-bas, il y a quinze jours. Elle y est encore. C’est là que je veux aller, et on me dit c’est d’accord, puisque désormais j’ai le droit à tous les caprices, pensez-bien, quelle terreur. Alors on m’y trouve une chambre. Alors elle prépare ma valise, et c’est un vrai trousseau de jeune fille. Alors ils m’y transportent, un jour de fête, celle de la paire de pères, quel symbole. Alors on me demande si j’ai vu LeChrist, et j’apprends que c’est le nom de famille du psychiatre qui dirige les opérations de sauvetage. J’ai le sourire. La banane. Plus moyen de me taire. Maintenant, il va falloir parler. Maintenant, il va falloir m’écouter. C’est obligé.

Sinon, je meurs.

Je veux faire souffrir, souffrir autant que j’ai souffert. Je veux qu’on se rende compte. Putain. Ou alors qu’on me laisse tranquille. Qu’on n’exige rien. Qu’on m’isole dans une bulle, et qu’on prenne en charge mon quotidien. Donner, c’est donner, reprendre, c’est abandonner. Arf. Laissons-moi dans un coin. ça remonte de loin. Des effluves, des répétitions, des intuitions. Je fais éclater les suppositions, et les visages se brouillent, et j’isole la douleur, à l’intérieur, tiens-toi tranquille, l’insupportable, tu n’es que souvenir, et les souvenirs sont interchangeables, et c’est le facteur chance, ça, tu vois, c’est ma chance à moi, d’avoir découvert ce truc là.

Je suis folle, mais ça se soigne.

«Souvent le sentiment d’abandon qui s’empare de nous s’accompagne d’une jouissance qui ne s’avouera pas comme telle dans la répétition ou dans l’idéalisation. C’est là qu’intervient la nécessité d’un appui extérieur, thérapeutique ou amical, qui exhorte à renoncer à l’illusion d’obtenir ce que l’on n’a pas obtenu. A ne plus se réfugier derrière l’aveuglement dans un passé idéal qui n’aura plus cours. A convertir notre histoire pour la reconstruire sans plus se rattacher à la cause pour justifier un malheur mais approcher celui-ci pour dénouer les tensions, décomposer l’image que l’on a de « soi m’aime ». Perdre peut-être quelques illusions, mais recouvrir des forces et s’ouvrir à d’autres horizons. Une autre illusion ? Peut-être. Mais en ce cas illusion créatrice, dégagée de l’emprise d’un passé intériorisé qui agite chaque relation de toutes sortes de sensations de l’ordre de l’indicible. Il faut apprendre à accepter sa partie souffrante, à la nommer, à la reconnaître, à ne plus en avoir honte, à l’appréhender, la comprendre, la réinscrire dans son histoire au présent, en d’autres termes. Un travail sur soi permet de reconquérir autonomie et indépendance psychique dont la jouissance pour le coup est porteuse de vie, d’espoir, de lendemains. Mais quel que soit le fait qui préfigure à ce sentiment, il est important d’aborder sa complexité dramatique. Afin que l’impression de ne pas exister en tant que sujet ne soit pas confirmée, mais démentie par la vie» – Virginie Megglé

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