Chronique #317 : Les fleurs de mon mal

22 septembre 2004 0 Permalink 0
J’ai eu une enfance heureuse, comme on dit.
«sois sage, ô ma douleur, et tiens-toi plus tranquille»
Des parents amoureux, des dizaines de cousins avec qui cuire un certain nombre de madeleines, une maison du bonheur constamment ouverte à qui voulait en franchir le seuil, des tas de livres pour m’évader, des rencontres musicales sur la route des vacances, des voyages ici ou là et souvent hors des frontières, de la confiture sur les tartines du goûter, des mardi-gras déguisés. Mon père nous instruisait, de films-cultes en courants de pensées philosophiques, sans négliger les anecdotes historiques avec lesquels on crânait en classe, les westerns extraordinaires qu’il nous autorisait à regarder même quand ils passaient tard tellement il lui semblait impensable qu’on rate Vera Cruz ou Les douze salopards (par exemple), et aussi le jazz de la Nouvelle-Orléans, Jack Vance, Mozart, Fitzgerald, etc. Une enfance heureuse, donc. Globalement.

Mais souvent, j’ai manqué d’une mère. J’ai manqué de repères. Naître fille, devenir femme. Tout un programme occulté par le folklore familial. J’ai grandi toute seule, j’ai vu mon corps se transformer avec appréhension et les garçons me tourner autour avec stupéfaction. Ma mère ne m’a jamais parlé, jamais appris, jamais raconté. Comme si elle ne m’avait rien transmis si ce n’est une étonnante ressemblance qui m’a longtemps agacée. Comme si c’était inconcevable que sa seule (omni)présence n’érige pas les fondations de ma vie future. Comme si je n’avais besoin de rien d’autre.

Alors je m’en suis cherché, des repères, et je m’en cherche encore. Alors je n’ai plus écouté ma mère dans ses tentatives de me rabaisser sans doute parce qu’on lui avait fredonné la même chanson, et qu’elle ne savait pas comment faire autrement. Alors j’ai rencontré MA à treize ans – j’en avais vingt-sept lorsqu’elle est morte, elle en avait trente-neuf. MA qui fût un peu ma mère, un peu ma soeur, un peu ma meilleure amie, un peu ma prof, un peu la personne la plus importante de ma vie. MA qui ouvrait mes horizons, qui m’a récupérée maintes fois en désespoir, en rébellion, en panique – chut, ça va aller… viens je vais nous faire un thé. MA que je voyais un peu moins souvent les mois qui ont précédé sa disparition parce que c’est la vie et que j’avais construit la mienne, sans imaginer que deux ans après tout s’effondrerait – et qu’elle ne serait plus là, et qu’une fois de plus je me dirais que je suis mal bâtie, bancale, adolescente. Alors encore aujourd’hui j’essaie de devenir femme, tous ces trucs un peu standardisés dans lesquels je me sens définitivement larguée… Alors je cherche une mère dans cet océan de femmes, quelqu’un qui me fascine, quelqu’un à qui ressembler, quelqu’un qui m’apprendrait, quelqu’un à séduire car finalement c’est bien de ça qu’il s’agit. Une femme dans les yeux de laquelle je lirais tout ce que je n’ai jamais vu dans le regard de ma mère. Tout ce que j’avais trouvé chez MA et qui s’est envolé avec elle…

Ma mère, je ne lui en veux pas. C’est juste une répétition familiale, rien de plus. Seulement quand j’entends dire à peu près tout le temps qu’elle est la plus formidable oreille qui soit, il y a cette boule dans ma gorge que je canalise autant que je peux histoire d’éviter les ravages. Seulement je ne peux absolument pas concevoir être la mère d’une fille – ce qui tombe finalement bien puisque Léon est un garçon. Seulement il n’y a jamais eu ses bras autour des miens, ou alors je n’en ai aucun souvenir. Jamais de bisous même pour dire bonjour.

Et aujourd’hui, c’est trop tard. Il faut que je grandisse.

Seven nation army est définitivement la chanson des vacances, sister. Et je n’avais pas le souvenir que les lyrics de I want out étaient si cons… comme nous à 14 ans quoi.

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